SUR UN LIVRE
DE VIRGINIA WOOLF (1)
Virginia Woolf vient de donner, un peu, hélas, to the happy
few, une œuvre définitive, où tient toute sa vision du monde,
où se retrouve toute la beauté délicate de son art, une œuvre
si pleine et si lumineuse qu’on est tenté de l’apprécier en elle-
même et de l’expliquer par elle-même. Virginia Woolf fait penser
à Joyce et à Proust, à Giraudoux, à Duhamel, sa technique
du roman est par certains côtés voisine de toutes les techniques
récentes, mais dominée par sa sensibilité et sa grâce, qui sont
uniques.
To the Light house est essentiellement un roman lyrique;
il reflète les contacts d’un groupe d’âmes entre elles, avec les
choses et avec la vie; et parallèlement il suit en elles le rythme
continu de leur vie émotive. Il n’y a pas de crises dans le livre;
il n’y a aucune action extérieure, aucun drame intérieur non
plus, pas de conflits ni de refoulements, point de ces ombres
subconscient—tout cet attirail mélodramatique du roman
psychologique ultra-moderne; il n’y a pas d’analyses ou de
suranalyses de motifs obscurs; il n’y a pas de motifs du tout.
To the Light house est une longue contemplation, un déroulement
harmonieux d’images et d’émotions, de sentiments et de
pensées, dans un monde intérieur doucement lumineux comme
une peinture de Vermeer.
Virginia Woolf préserve autant que possible le rythme intérieur
des affolements de l’action et du désir; mais cela—et bien
au contraire, ne veut pas dire qu’elle referme les fenêtres et les
volets de la conscience, et nous présente un long défiléde rêveries.
(1) VIRGINIA WOOLF: To the Lighthouse. — The Hogarth Press. London.