intérieures qu’il nous fait voir seulement par transparence; au
lieu, comme James Joyce le fait dans Ulysses, par exemple,
que nous soyons jetés au milieu même d’une conscience, que
nous voyons grouiller autour de nous, monstrueusement.
Les personnages de Virginia Woolf ne sont pas de ces sections
<<pour montrer le fonctionnement >>: ils sont clos ; ils ne
nous regardent pas du coin de l’œil quand ils parlent ou quand
ils pensent; ils vivent, pour eux, non pour nous, une vie étonnamment
normale: ils n’ont même pas de turpitudes cachées
à nous découvrir. Ils découragent les familiarités douteuses,
les intimités indiscrètes. La figure de femme qui domine le livre
du rayonnement de son charme et de sa sympathie reste pour
nous Mrs Ramsay, fine, souriante et grave, un peu lointaine:
nous ne savons pas son prénom.
Mais si Virginia Woolf place ainsi ses personnages vis-Ã -vis,
de nous dans une perspective délicatement rectifiée, ce n’est
pas pour quelque nouveau trompe-l’œil, c’est surtout pour
que nous ayons une vision plus juste de leurs relations les uns
à l’égard des autres. Et cela est un des points de vue essentiels
du livre. C’est un caractère de la vision—peut-être de la vision
féminine de l’auteur—elle ne répudierait pas l’adjectif—
qu’elle voit les êtres humains non point séparés, mais dans un
groupe ; qu’elle est portée à s’occuper moins de leur agencement
interne que de leurs relations avec l’extérieur: de leurs
relations avec les choses ; de leurs rapports réciproques surtout;
et de leurs dispositions à de tels rapports.
Elle est préoccupée, comme bien des autres de ses contemporains,
de l’absence de contact direct entre les êtres. Les rapports
humains sont essentiellement fragmentaires, discontinus;
on n’a pour connaître d’autres êtres, que des signes extérieurs;
et encore on ne manque pas de les rapporter à soi: pour pénétrer
quelqu’un d’autre, il faudrait d’abord sortir de soi-même:
don rare, difficile et encore imparfaite intuition, réservée à de
très hautes natures, telle Mrs Ramsay. Une de ses amies, Lily
Briscoe, songe à ces choses, aux différentes manières qu’on a de
se connaître. Il y a par exemple Charles Tansley.
<<Elle se faisait de lui une idée grotesque, elle s’en rendait
bien compte—remuant les plantains de son pinceau. La moitié
des idées qu’on se faisait des autres gens étaient, somme
toute, grotesques. Elles servent nos desseins particuliers. Il
lui tenait lieu de ces esclaves qu’on fouettait pour les fautes de